Projet d’Ordonnance relative aux entités - mesures d’urgence prises pour faciliter la tenue des assemblées générales et des conseils

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March.25.2020

By: Alexis Marraud des Grottes, Marc Diab Maalouf

Dans le contexte de l’épidémie de covid-19, le Parlement a adopté en procédure accélérée la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, publiée au JO du 24 mars. En bref, la loi organise le report du second tour des élections municipales, communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, instaure un dispositif d'état d'urgence sanitaire et détaille les mesures d'urgence économique et d'adaptation à la lutte contre l'épidémie.

Loi. Parmi ces dernières mesures, l’article 11, I, 2°, f) de la loi autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance toutes mesures « simplifiant et adaptant les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé et autres entités se réunissent et délibèrent, ainsi que les règles relatives aux assemblées générales ».

Ordonnance. Une ordonnance dédiée va donc prendre en la matière des mesures qui sont attendues avec impatience, en particulier par les sociétés cotées. Les restrictions aux déplacements et rassemblements imposées pour répondre à la crise sanitaire rendent le fonctionnement des organes sociaux particulièrement difficile, alors que la période est à l’arrêté des comptes et à la tenue des assemblées générales annuelles. Sans entrer dans de grands développements l’on comprend rapidement que l’enjeu n’est pas neutre puisque d’un point de vue économique l’affectation du résultat, et donc le paiement d’un dividende, nécessite pour certaines entités l’accord des associés, le report de l’assemblée n’est alors pas une solution envisageable, tandis que d’un point de vue juridique, la tenue d’une assemblée sans les actionnaires ou membres, en particulier pour les sociétés cotées qui doivent faire face à un cadre juridique moins souple que d’autres groupements, est susceptible d’emporter des risques de nullités.

Est ainsi attendue dans les prochains jours une ordonnance gouvernementale portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé dans le contexte de l’épidémie de covid-19 (le « Projet d’Ordonnance »). Ses dispositions, qui ont vocation à s’appliquer aux sociétés, en ce compris les coopératives, mutuelles, groupements d’intérêt économique français ou européens, fondations, fonds de dotation ou autres associations … ou encore aux assemblées de détenteurs de titres financiers vont permettre ainsi principalement la tenue d’assemblées à huis clos et/ou par des moyens de télécommunication.

Durée des mesures. Les assemblées et conseils des entités concernées, tenus entre le 12 mars 2020 (ce qui permet de sécuriser les assemblées qui se sont tenues dans un contexte dégradé avant l’entrée en vigueur de l’Ordonnance) et le 31 juillet 2020 (ce délai pouvant être prorogé jusqu’au 30 novembre 2020), pourront bénéficier des mesures simplificatrices de l’Ordonnance.

Assemblées à huit clos. Une nécessaire mesure de l’Ordonnance, compte tenu des restrictions de déplacement et de regroupement, prévoit le déroulement des assemblées à huis clos, c’est-à-dire en l’absence des membres (notamment associés ou actionnaires) devant normalement y participer. Il en résulte une dérogation « d’assister aux séances ainsi qu’aux autres droits dont l’exercice suppose d’assister à la séance (tels que, par exemple, le droit de poser des questions orales ou de modifier les projets de résolutions en séance dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions). » Néanmoins, le rapport au Président de la République précise bien que l’application de ce dispositif exceptionnel est soumise à une condition : l’assemblée doit être convoquée en un lieu affecté, à la date de la convocation (entendue au sens large, ce qui inclut, dans les sociétés cotées, l’avis de réunion) ou à celle de la réunion, par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires.

Assemblées digitales. Elles pourront de plus, si l’entité le décide, avoir lieu par visioconférence ou autres moyens de télécommunication, même lorsque les statuts de l’entité ne prévoient pas cette possibilité et quel que soit l’objet des résolutions sur lesquelles l’assemblée est appelée à statuer. Si l’assemblée se tient par visioconférence, les moyens techniques utilisés doivent permettre de transmettre au moins la voix des participants et la retransmission continue et simultanée des délibérations (ces conditions techniques sont similaires à celles s’appliquant généralement aux assemblées générales de sociétés anonymes se tenant par visioconférence). Pour les entités comprenant de très nombreux membres, le recours à cette mesure devra être étudié, en ce que la capacité d’intervention de l’ensemble des participants doit être assurée et qu’elle pourrait être de nature à nuire au bon déroulement de la réunion. Par ailleurs, certaines sociétés avec beaucoup d’actionnaires risquent de se heurter à des difficultés techniques si elles souhaitent offrir un vote en direct par internet. Une simple retransmission par internet pourrait être préférée.

Assemblées par écrit. Par ailleurs, et afin de faciliter plus encore les prises de décision, le Projet d’Ordonnance modifie le régime des décisions écrites des assemblées de l’ensemble des entités visées. Habituellement, certaines entités peuvent prendre une décision écrite lorsque la loi et leurs statuts l’autorisent. Le Projet d’Ordonnance supprime cette seconde exigence, permettant ainsi les décisions écrites dès lors que la loi le prévoit, même sans autorisation statutaire. Une telle souplesse sera utile dans beaucoup de filiales de grands groupes qui ne prévoient pas ces modalités.

Convocation des assemblées. Le Projet d’Ordonnance prend en compte les facultés offertes et leur impact sur les modalités de convocation des assemblées.

D’une part, si la convocation à l’assemblée générale d’une société cotée ou à l’assemblée des obligataires d’une société émettrice d’obligations offertes au public a été envoyée préalablement à la décision de tenir cette assemblée à huis clos ou par visioconférence, la société est tenue de communiquer cette décision aux actionnaires ou obligataires dès que possible. La modification de ces modalités de réunion ne constitue pas une irrégularité de convocation, et il n’est pas nécessaire de procéder à nouveau aux formalités de convocation déjà accomplies. Par ailleurs, lorsqu’une société cotée est tenue de procéder à la convocation d’une assemblée d’actionnaires par voie postale, cette convocation n’est pas nulle lorsqu’elle n’a pu être adressée de cette manière en raison de circonstances extérieures à la société. Le rapport au Président de la République précise que ces circonstances extérieures recouvrent notamment l’hypothèse dans laquelle les sociétés mentionnées audit article – ou leurs prestataires – ont été empêchées d’accéder à leurs locaux ou de préparer les convocations nécessaires, dans le contexte de l’épidémie de Covid 19.

D’autre part, pour ce qui concerne toutes les autres entités, la décision de tenir l’assemblée à huis clos ou par visioconférence doit être notifiée aux membres des assemblées 3 jours ouvrés au moins avant la date de ladite assemblée. De la même manière, cette modification des modalités de réunion ne constitue pas une irrégularité de convocation, et les formalités de convocation déjà accomplies restent valides.

Enfin, tout membre d’une assemblée tenue à huis clos ou par visioconférence (quelle que soit l’entité en question) peut se faire transmettre les informations ou documents auxquels il a droit en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou statutaires applicables. Cette transmission peut se faire désormais par télécommunication électronique. Il est possible d’anticiper que l’inversion du principe d’accès à ces documents, dont le principe habituel est qu’ils sont quérables et non portables, risque en pratique, compte tenu du volume des documents, de nécessiter une organisation particulière.

Tenue des Conseils et autres organes. Le Gouvernement a aussi adapté les modalités de réunion des organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction de l’ensemble des entités visées par le Projet d’Ordonnance, en permettant aux membres de ces organes de participer aux réunions par visioconférence, sans qu’une clause statutaire ne puisse en disposer autrement. Par ailleurs, les décisions de ces organes pouvant être prises par écrit même sans autorisation statutaire, dans des conditions assurant la collégialité des décisions. L’ensemble de ces règles s’applique quel que soit l’objet de la décision sur laquelle l’organe est appelé à statuer (en ce compris les opérations sur les comptes).

Mesures réglementaires du Code de commerce. Les mesures présentées ci-dessus ont un caractère législatif. Afin de pouvoir les mettre en œuvre lors des assemblées d’actionnaires de sociétés anonymes, des dispositions réglementaires qui sont en attente modifieraient également certains textes de la partie réglementaire du Code de commerce.  

Changement de modalité de vote. Tout d’abord, en ce qui concerne les sociétés cotées, les textes prévoient habituellement qu’un actionnaire ayant déjà exprimé son vote à distance, envoyé un pouvoir ou demandé sa carte d’admission ou une attestation de participation ne peut plus choisir un autre mode de participation à l’assemblée générale. Les modifications autoriseraient désormais un tel actionnaire à changer de mode de participation, à condition toutefois que le document en question parvienne à la société dans les délais prévus par le Code de commerce. Ces délais seraient les suivants : (i) en cas d’envoi d’un formulaire de vote, 3 jours avant la date de l’assemblée générale (sauf délai plus court prévu par les statuts) et (ii) en cas d’envoi d’un formulaire électronique de vote à distance ou d’instruction par voie électronique comportant procuration ou pouvoir, au plus tard la veille de l’assemblée générale, à 15h.

Présidence de l’assemblée. Par ailleurs, en ce qui concerne l’ensemble des sociétés anonymes, il serait prévu, comme d’ordinaire, que le président du Conseil d’administration ou du Conseil de surveillance préside l’assemblée générale des actionnaires tenue à huis clos ou par visioconférence. En revanche, en son absence et par dérogation aux dispositions généralement applicables, elle pourrait être présidée par la personne désignée par le Conseil (et non par l’assemblée des actionnaires elle-même), ce président intérimaire pouvant être toute personne physique, y compris une personne qui n’est pas actionnaire.

Scrutateurs et secrétaire. Enfin, les modifications prévoiraient logiquement qu’en cas d’assemblée tenue à huis clos, les scrutateurs ne seraient pas nécessairement des actionnaires, contrairement aux dispositions habituellement applicables, mais seraient désignés par le Conseil. Pareillement, le bureau de l’assemblée désignerait un secrétaire, qui pourrait ne pas être actionnaire, quand bien même les statuts disposeraient qu’il doit avoir cette qualité.

Ces mesures réglementaires seraient applicables jusqu’au 31 juillet 2020.

Il conviendra de voir si des évolutions auront lieu entre le Projet d’Ordonnance et l’Ordonnance mais ces mesures rédigées en urgence sont de qualité et permettent de répondre aux défis des groupements de notre pays.