La gouvernance des entreprises au cœur des évolutions vers un capitalisme « responsable »


July.28.2021

La crise financière de 2008 a amplifié la critique d’un capitalisme dont l’excessive financiarisation nuirait au relèvement des grands défis sociaux et environnementaux de notre temps. Particulièrement sensible à ces questions, la France a rapidement engagé des réflexions sur les remèdes envisageables et, par un autre trait national caractéristique, s’est positionnée en pionnière dans la formulation législative d’obligations relatives à la prise en compte par les sociétés des impacts de leurs activités sur les parties prenantes et l’environnement, à travers l’édiction d’un « devoir de vigilance » et des dispositions issues de la loi PACTE relatives à l’intérêt social, la raison d’être et la société à mission.

Le droit des sociétés s’est ainsi trouvé principalement mobilisé dans la satisfaction des nouveaux objectifs, signe que c’est le cœur du capitalisme que l’on souhaitait toucher, à travers son « merveilleux instrument » qu’est la société, spécialement de capitaux. Si les plus grandes d’entre elles participent aux problèmes, il convient logiquement qu’elles participent aux solutions. Ceux qui ont à l’esprit l’histoire économique verront dans ces nouvelles exigences de vertus civiques imposées aux sociétés la fin d’un cycle doctrinal et réglementaire centré sur la primauté actionnariale. Les mêmes, instruits des faiblesses corrélatives d’un capitalisme trop managérial ou inquiets par certaines caricatures des imperfections du capitalisme dénoncé, pourront s’en inquiéter. L’on pourra également s’interroger, en termes d’efficacité de la lutte contre les externalités négatives de l’activité des sociétés, sur ce détour par le droit des sociétés, au travers de dispositions parfois très générales voire symboliques, plutôt que par l’établissement de réglementations spécialement dédiées au type d’impact considéré. D’aucuns y verront un aveu d’impuissance du politique, qui se traduit par une politisation du rôle des sociétés.

La réflexion sur l’intérêt et la raison d’être des sociétés s’est largement internationalisée. Le débat sur le « corporate purpose » fait rage dans tous les pays développés. Aux États-Unis, berceau de la primauté actionnariale, on a assisté à l’été 2019 à une spectaculaire remise en cause par le Business Roundtable, qui s’est à l’occasion attiré les foudres des défenseurs de cette norme de gestion, tout en suscitant le scepticisme de ses contempteurs. Témoin encore la sortie du candidat Joe Biden, selon laquelle « the idea that a corporation’s sole or primary responsibility is to its shareholders is not only wrong, but ”an absolute farce.” » De ce côté‑ci de l’Atlantique, ces sujets sont désormais pleinement appréhendés par la Commission Européenne, qui a initié des travaux et lancé de grandes consultations publiques afin d’aboutir à l’élaboration d’une réglementation imposant des normes communes de diligence et/ou de gouvernance durable, dont certaines directement inspirées du modèle français. Loin d’être cantonnées géographiquement, ces normes sont susceptibles de revêtir une portée mondiale, en ce qu’elles saisissent la gouvernance globale des sociétés européennes, mais possiblement celle des sociétés extra-européennes disposant d’une présence économique significative sur le territoire de l’Union.

Dans notre série de podcast Décryptages by Orrick, Alexis Marraud des Grottes, Associé en M&A et Marchés de capitaux au sein du bureau parisien d’Orrick, et Alain Pietrancosta, Professeur des universités, y consacrent 3 épisodes. Nous vous invitons à les découvrir ou redécouvrir.