Actualité de droit boursier - Réforme des OPA
La loi n°2010-1249 de régulation bancaire et financière
(LRBF) du 22 octobre 2010 a modifié quelques notions
essentielles du droit boursier comme les seuils déclencheurs
de l'offre obligatoire, la notion d'action de concert ou les
sanctions et les procédures de sanctions AMF.
Le règlement général de l'AMF viendra préciser et compléter
les modifications législatives réalisées particulièrement pour
ce qui concerne les offres publiques.
A ce stade, et compte tenu de la LRBF qui a été adoptée et
du projet de règlement général de l'AMF, il est possible
d'entrevoir les évolutions particulièrement importantes en
matière d'offres publiques qui vont intervenir d'ici
peu[1].
1. Suppression de la garantie de cours. Notons que
le régime de la garantie de cours à été supprimé purement et
simplement par la LRBF. La garantie de cours était en
concurrence directe avec l'offre obligatoire. Depuis la loi de
modernisation des activités financières de 1996 et la réforme
de novembre 1998 du règlement général du Conseil des
marchés financiers, l'autonomie de la procédure de garantie de
cours par rapport à la procédure d'offre publique obligatoire
avait été consacrée. La procédure d'offre publique obligatoire
était généralement applicable en cas de franchissement d'un
seuil déclenchant ; la garantie de cours s'appliquait
exclusivement en cas d'acquisition d'un bloc de titres qui
conférait la majorité du capital ou des droits de vote. Le
champ d'application de la procédure de garantie de cours se
limitait à l'hypothèse d'une acquisition directe du bloc de
titres. Ce champ était donc très limité, et lorsqu'ils
franchissaient à la fois le seuil du tiers et de la moitié,
les initiateurs se plaçaient le plus souvent dans le cadre de
l'offre obligatoire en demandant l'application de la procédure
simplifiée.
La question de la garantie de cours se résumait en réalité
à une question de prix, le prix de la garantie de cours étant
en principe basé sur le prix d'acquisition du bloc. Compte
tenu des modifications successives et du fait que dans le
cadre d'une offre obligatoire le prix proposé est au moins
égal au prix le plus élevé payé par l'initiateur sur une
période de douze mois précédant le fait générateur de
l'obligation de déposer le projet d'offre, la garantie de
cours ne se justifie plus.
2. Abaissement à 30% du seuil de l'offre
obligatoire. La loi du 2 août 1989, relative à la
sécurité et à la transparence du marché financier, avait
imposé la procédure de dépôt obligatoire d'un projet d'offre
publique dans trois hypothèses. Le franchissement du seuil de
50 % du capital ou des droits de vote ayant été supprimé
par une réforme de 1998, seuls subsistent deux cas de dépôt
obligatoire qui sont, d'une part, le franchissement du seuil
du tiers du capital ou des droits de vote et, d'autre part,
l'acquisition d'au moins 2 % en moins de douze mois par
une personne possédant entre le tiers et la moitié du nombre
total des titres de capital ou des droits de vote, aussi
appelé excès de vitesse d'acquisition. Désormais la LRBF
abaisse le seuil du tiers à 30% et fixe ainsi le seuil
déclencheur de l'offre obligatoire à 30% du capital ou des
droits de vote.
3. Modalité de calcul du seuil de 30%. La
prise en compte des contrats d'échanges financiers reposant
sur des actions (equity swap) ou contrats financiers avec
paiement de différentiel (CFD) a toujours été complexe à
traiter dans le calcul des seuils. La LRBF dispose que "la
détention directe ou indirecte d'une fraction du capital ou
des droits de vote est appréciée au regard des articles L.
233-7 et L. 233-9 du code de commerce" et renvoie au
règlement général de l'AMF pour fixer la liste précise des
"accords ou instruments financiers mentionnés au 4° du
I de l'article L. 233-9" qui doivent être pris en
compte pour la détermination de cette détention.
Le projet de règlement général prévoit un alignement du
régime des déclarations de franchissements de seuils avec
celui relatif aux seuils d'offre obligatoire. Ainsi les
"instruments financiers" à prendre en compte au titre
du 4° du I de l'article L. 233-9 du code de commerce seraient
notamment : 1° Les obligations échangeables en actions ; 2°
Les contrats à terme ; 3° Les options, qu'elles soient
exerçables immédiatement ou à terme, et quel que soit le
niveau du cours de l'action par rapport au prix d'exercice de
l'option. S'agissant des "accords" mentionnés au 4° du
I de l'article L. 233-9 du code de commerce, ceux-ci étant par
définition conclus de gré à gré, hors marché, et donc non
standardisés, il conviendra de raisonner par analogie avec les
instruments financiers, en examinant leurs modalités et leurs
effets au regard des critères de l'article L. 233-9 I 4° du
code de commerce.
Certains avaient pu remarquer que les textes relatifs aux
cas d'assimilation pour le calcul des franchissements de
seuils comportent des équivoques qui les rendent inappropriés
au calcul du seuil de l'offre obligatoire. Ils proposaient
donc de calculer le seuil de l'offre publique obligatoire
uniquement en fonction de la détention du capital et des
droits de vote, solitaire ou de concert, directe ou indirecte,
c'est-à-dire en ne prenant pas en compte les cas
d'assimilations, ou proposaient qu'à partir du moment où une
participation en capital, ou en droits de vote atteint le
seuil de 20%, si le seuil de l'offre obligatoire est également
franchi en ajoutant une détention de dérivés et contrats
optionnels permettant un accès potentiel au capital, l'offre
obligatoire doit être lancée. Ces solutions ne semblent pas
avoir été retenues et l'alignement sur le régime des
déclarations de franchissements de seuils pour plus de
sécurité juridique semble avoir été privilégié.
4. Clause de grand-père. Compte tenu de
l'abaissement du tiers à 30% du seuil déclencheur de l'offre
obligatoire, la LRBF introduit une "clause de grand-père" dont
l'objet est de préserver les droits des personnes qui
détenaient une participation comprise entre 30% et le tiers
au 1er janvier 2010 : tant qu'elles
maintiennent leur détention entre 30% et le tiers, ces
personnes se veraient appliquer le régime de l'offre
obligatoire antérieur au 1er février 2011,
prévoyant un déclenchement de l'obligation de dépôt d'offre en
cas de franchissement des seuils du tiers du capital ou des
droits de vote.
Dans un premier temps il était envisagé de limiter à 5 ou 7
ans la "clause de grand-père" mais cette proposition, nous
l'avions remarqué[2], semblait remettre en cause
les droits acquis des actionnaires et contraindre à une
expropriation, ce qui ne manquait pas de soulever des
questions au regard des principes de la non-rétroactivité de
la loi, du droit de propriété et de la liberté du commerce et
de l'industrie. Finalement la clause de grand-père ne devrait
pas être limitée dans le temps, nos grands principes semblent
ainsi devoir être respectés !
Le projet prévoit à ce stade - mais cela reste encore
discuté et donc susceptible de modifications - que les
personnes qui auront porté leur participation entre 30% et le
tiers entre le 1er janvier 2010 et
le 1er février 2011, devront au plus tard
le 1er février 2011, date prévue
pour l'entrée en vigueur du nouveau seuil déclencheur de 30%,
soit réduire leur détention en deçà de 30%, soit déposer un
projet d'offre publique obligatoire.
Toute personne physique ou morale concernée par cette
disposition sera tenue de déclarer sans délai sa participation
en capital et en droits de vote à l'AMF. L'AMF publiera la
liste des personnes ayant procédé à cette déclaration.
Il convient de noter que si par exemple du fait de
l'existence de droits de vote double, la détention d'un
actionnaire au 1er janvier 2010 était
inférieure au seuil de 30% en capital et comprise entre 30% et
le tiers en droits de vote, alors cet actionnaire ne serait
concerné par la "clause de grand-père" que pour sa détention
en droits de vote, de sorte qu'il serait soumis au seuil
déclencheur de 30% pour sa détention en capital et au seuil
déclencheur du tiers pour sa détention en droits de vote.
5. Réorganisation des dérogations. Actuellement le
cas de dépôt obligatoire lié au franchissement du seuil du
tiers se divise en deux cas de figures, le franchissement du
seuil du tiers pouvant se produire à la suite d'une détention
directe ou indirecte du capital ou des droits de vote de la
société cotée. Ainsi le règlement général de l'AMF se présente
en différents articles l'un relatif au franchissement direct
du seuil du tiers et l'autre au franchissement indirect du
seuil du tiers, c'est-à-dire à la prise de contrôle d'une
société mère ayant une filiale cotée sur un marché réglementé
français ou européen et représentant une part essentielle des
actifs de la société mère. Désormais ces articles seront
réorganisés et modifiés.
5.1. L'actif essentiel. Le projet prévoit que
les termes "une part essentielle de ses actifs" soient
remplacés par "un actif essentiel" dans un souci de mise en
cohérence avec les dispositions du code monétaire et
financier.
La notion "d'actif essentiel" est apparue dans notre code
monétaire et financier par la loi du 26 juillet 2005 dans
le cadre de l'amendement appelé "Renault". Certains la
rapprochaient de la notion de "part essentielle des actifs" et
d'autres de la notion de "principal des actifs" de
l'article 236-6 du règlement général de l'AMF. La Cour
d'appel de Paris a déjà indiqué que le caractère "principal"
d'un actif "suppose non seulement l'importance mais aussi la
prédominance". Un actif "essentiel" serait donc un actif
important, mais pas nécessairement prépondérant, il pourrait
ainsi exister plusieurs actifs essentiels. A noter que dans
une affaire, l'AMF a déjà eu l'occasion d'apporter des
précisions intéressantes concernant la notion d'"actif
essentiel". Afin d'apprécier si sa participation dans la
société APRR constituait un actif essentiel de la société
Eiffage, l'AMF a en effet procédé à une approche multicritères
reposant d'une part sur une analyse quantitative consistant à
examiner la contribution d'APRR aux comptes consolidés
d'Eiffage, et d'autre part sur une analyse qualitative
consistant à appréhender l'intérêt stratégique représenté par
APRR pour Eiffage.
5.2. Fusion des articles relatifs au
franchissement direct et indirect du seuil de 30%. Le
projet de règlement général de l'AMF devrait simplement
mentionner dans un seul article les franchissements direct et
indirect du seuil de 30%, et réaffecter à l'article prévoyant
les cas de dérogations à l'offre publique obligatoire le
contenu de l'article actuel sur le franchissement de seuil
indirect pour en sauvegarder la dimension dérogatoire.
Ainsi sera conservé le fait qu'une offre obligatoire n'est
pas requise si la société fille ne constitue pas un "actif
essentiel" de la société mère, et ce dans trois cas
correspondant au trois dispositions de l'article actuel :
prise de contrôle au sens des textes applicables en amont de
la chaîne de détention (1° de l'article 234-3), mise en
concert en amont de la chaîne de détention, entraînant une
prise de contrôle (2° de l'article 234-3), et fusion ou apport
en amont de la chaîne de détention (dernier alinéa de
l'article 234-3).
Il est donc proposé de créer un 8° cas de dérogation à
l'offre publique obligatoire afin de couvrir le cas de figure
actuellement visé au 1° de l'article 234-3.
Le 2° de l'article 234-3 serait réaffecté à l'article 234-7
qui traite des cas de franchissement des seuils déclencheurs
d'offre obligatoire par mise en concert.
Enfin, le dernier alinéa de l'article 234-3 est déplacé et
un 9° cas de dérogation est créé à l'article 234-9 pour
traiter le cas des "actifs non essentiels".
5.3. Extension de la dérogation de franchissement
temporaire de seuil. Par ailleurs, il est
proposé de modifier la dérogation qui permet à l'AMF
d'autoriser le franchissement temporaire du seuil du tiers de
manière directe ou indirecte si le dépassement porte sur moins
de 3% du capital et des droits de vote et si sa durée n'excède
pas six mois.
Les modifications proposées permettraient d'introduire un
cas spécifique d'exemption d'offre obligatoire auquel il
pourrait être recouru, notamment, si l'application des règles
d'assimilation "des accords ou instruments financiers
mentionnés au 4° du I de l'article L. 233-9 qui doivent
être pris en compte pour le calcul de 30%"
conduisait à faire peser l'obligation de dépôt d'un projet
d'offre sur un actionnaire de façon injustifiée ou
disproportionnée au regard des circonstances. Il s'agirait de
viser les situations transitoires dans lesquelles le débiteur
potentiel de l'obligation d'offre ne poursuit pas un objectif
de prise de contrôle et s'engage à ramener sa détention en
deçà du seuil d'offre publique concerné dans un délai
raisonnable.
L'autorisation temporaire de franchissement du seuil
déclencheur de l'offre obligatoire serait ainsi étendue à la
règle de l'excès de vitesse, ne serait plus conditionnée à un
quantum maximum (actuellement 3%) et ne serait possible que si
le franchissement en cause ne s'inscrit pas dans un dessein de
prise de contrôle (ou de renforcement du contrôle, dans le cas
d'une détention initialement comprise entre 30% et 50%).
Cette extension du champ d'application de cette dérogation
serait un corollaire de la prise en compte des cas
d'assimilation de l'article L. 233-9 du code de commerce pour
les besoins du calcul du seuil de 30% déclencheur de l'offre
obligatoire.
6. Précisions concernant l'offre publique de retrait.
La LRBF a précisé la rédaction de l'article L. 433-4 du
code monétaire et financier pour que la fusion visée par la
procédure d'OPR, actuellement une fusion de la société "avec
la société qui la contrôle ou avec une autre société contrôlée
par celle-ci", soit aussi la fusion-absorption d'une ou
plusieurs sociétés filles par la société mère ou une fusion
intragroupe entre sociétés sœurs. En conséquence, l'article
236-6 du règlement général de l'AMF sera adapté afin d'être
conforme avec la nouvelle rédaction du code monétaire et
financier.
7. Sociétés cotées sur Alternext. Les modifications
vont intervenir rapidement, et pour les sociétés qui sont
cotées sur Alternext le changement sera particulièrement
important. Sur Alternext, le remplacement de la garantie de
cours par l'obligation de déposer une offre en cas dépassement
du seuil de 50 %, ainsi que la possibilité d'accorder des
dérogations, viendront complexifier les mouvements de
capitaux. Néanmoins, ce cadre légal permettra à l'AMF
d'imposer le respect du principe d'égalité entre les
actionnaires, le système actuel ayant montré qu'il n'était pas
adapté à toutes les situations. L'insertion du retrait
obligatoire à partir de 95 % aiguisera, à n'en pas douter,
l'intérêt de certains fonds LBO pour qui le retrait de la cote
est une finalité. Les retraits de la cote devraient ainsi
pouvoir être envisagés sereinement sans avoir à se soucier des
quelques actionnaires qui n'apportaient pas à l'offre et
pouvaient se retrouver dans une société radiée de la cote sans
que le majoritaire puisse les contraindre à vendre leurs
titres.
[1] La date prévue pour leur entrée en vigueur
est le 1er février 2011.
[2] Jean-Pierre Martel et Alexis Marraud des
Grottes, L'action de concert au cœur du M&A coté, Option
Finance/Option Droit & Affaires - Octobre 2010, p.64 et
s. |