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19 JANVIER 2011

Adrien Guidet
par Alexis Marraud des Grottes

Avocat à la Cour
Orrick Rambaud Martel

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Actualité de droit boursier - Réforme des OPA

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La loi n°2010-1249 de régulation bancaire et financière (LRBF) du 22 octobre 2010 a modifié quelques notions essentielles du droit boursier comme les seuils déclencheurs de l'offre obligatoire, la notion d'action de concert ou les sanctions et les procédures de sanctions AMF.

Le règlement général de l'AMF viendra préciser et compléter les modifications législatives réalisées particulièrement pour ce qui concerne les offres publiques.

A ce stade, et compte tenu de la LRBF qui a été adoptée et du projet de règlement général de l'AMF, il est possible d'entrevoir les évolutions particulièrement importantes en matière d'offres publiques qui vont intervenir d'ici peu[1].

1. Suppression de la garantie de cours. Notons que le régime de la garantie de cours à été supprimé purement et simplement par la LRBF. La garantie de cours était en concurrence directe avec l'offre obligatoire. Depuis la loi de modernisation des activités financières de 1996 et la réforme de novembre 1998 du règlement général du Conseil des marchés financiers, l'autonomie de la procédure de garantie de cours par rapport à la procédure d'offre publique obligatoire avait été consacrée. La procédure d'offre publique obligatoire était généralement applicable en cas de franchissement d'un seuil déclenchant ; la garantie de cours s'appliquait exclusivement en cas d'acquisition d'un bloc de titres qui conférait la majorité du capital ou des droits de vote. Le champ d'application de la procédure de garantie de cours se limitait à l'hypothèse d'une acquisition directe du bloc de titres. Ce champ était donc très limité, et lorsqu'ils franchissaient à la fois le seuil du tiers et de la moitié, les initiateurs se plaçaient le plus souvent dans le cadre de l'offre obligatoire en demandant l'application de la procédure simplifiée.

La question de la garantie de cours se résumait en réalité à une question de prix, le prix de la garantie de cours étant en principe basé sur le prix d'acquisition du bloc. Compte tenu des modifications successives et du fait que dans le cadre d'une offre obligatoire le prix proposé est au moins égal au prix le plus élevé payé par l'initiateur sur une période de douze mois précédant le fait générateur de l'obligation de déposer le projet d'offre, la garantie de cours ne se justifie plus.

2. Abaissement à 30% du seuil de l'offre obligatoire. La loi du 2 août 1989, relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, avait imposé la procédure de dépôt obligatoire d'un projet d'offre publique dans trois hypothèses. Le franchissement du seuil de 50 % du capital ou des droits de vote ayant été supprimé par une réforme de 1998, seuls subsistent deux cas de dépôt obligatoire qui sont, d'une part, le franchissement du seuil du tiers du capital ou des droits de vote et, d'autre part, l'acquisition d'au moins 2 % en moins de douze mois par une personne possédant entre le tiers et la moitié du nombre total des titres de capital ou des droits de vote, aussi appelé excès de vitesse d'acquisition. Désormais la LRBF abaisse le seuil du tiers à 30% et fixe ainsi le seuil déclencheur de l'offre obligatoire à 30% du capital ou des droits de vote.

3. Modalité de calcul du seuil de 30%. La prise en compte des contrats d'échanges financiers reposant sur des actions (equity swap) ou contrats financiers avec paiement de différentiel (CFD) a toujours été complexe à traiter dans le calcul des seuils. La LRBF dispose que "la détention directe ou indirecte d'une fraction du capital ou des droits de vote est appréciée au regard des articles L. 233-7 et L. 233-9 du code de commerce" et renvoie au règlement général de l'AMF pour fixer la liste précise des "accords ou instruments financiers mentionnés au 4° du I de l'article L. 233-9" qui doivent être pris en compte pour la détermination de cette détention.

Le projet de règlement général prévoit un alignement du régime des déclarations de franchissements de seuils avec celui relatif aux seuils d'offre obligatoire. Ainsi les "instruments financiers" à prendre en compte au titre du 4° du I de l'article L. 233-9 du code de commerce seraient notamment : 1° Les obligations échangeables en actions ; 2° Les contrats à terme ; 3° Les options, qu'elles soient exerçables immédiatement ou à terme, et quel que soit le niveau du cours de l'action par rapport au prix d'exercice de l'option. S'agissant des "accords" mentionnés au 4° du I de l'article L. 233-9 du code de commerce, ceux-ci étant par définition conclus de gré à gré, hors marché, et donc non standardisés, il conviendra de raisonner par analogie avec les instruments financiers, en examinant leurs modalités et leurs effets au regard des critères de l'article L. 233-9 I 4° du code de commerce.

Certains avaient pu remarquer que les textes relatifs aux cas d'assimilation pour le calcul des franchissements de seuils comportent des équivoques qui les rendent inappropriés au calcul du seuil de l'offre obligatoire. Ils proposaient donc de calculer le seuil de l'offre publique obligatoire uniquement en fonction de la détention du capital et des droits de vote, solitaire ou de concert, directe ou indirecte, c'est-à-dire en ne prenant pas en compte les cas d'assimilations, ou proposaient qu'à partir du moment où une participation en capital, ou en droits de vote atteint le seuil de 20%, si le seuil de l'offre obligatoire est également franchi en ajoutant une détention de dérivés et contrats optionnels permettant un accès potentiel au capital, l'offre obligatoire doit être lancée. Ces solutions ne semblent pas avoir été retenues et l'alignement sur le régime des déclarations de franchissements de seuils pour plus de sécurité juridique semble avoir été privilégié.

4. Clause de grand-père. Compte tenu de l'abaissement du tiers à 30% du seuil déclencheur de l'offre obligatoire, la LRBF introduit une "clause de grand-père" dont l'objet est de préserver les droits des personnes qui détenaient une participation comprise entre 30% et le tiers au 1er janvier 2010 : tant qu'elles maintiennent leur détention entre 30% et le tiers, ces personnes se veraient appliquer le régime de l'offre obligatoire antérieur au 1er février 2011, prévoyant un déclenchement de l'obligation de dépôt d'offre en cas de franchissement des seuils du tiers du capital ou des droits de vote.

Dans un premier temps il était envisagé de limiter à 5 ou 7 ans la "clause de grand-père" mais cette proposition, nous l'avions remarqué[2], semblait remettre en cause les droits acquis des actionnaires et contraindre à une expropriation, ce qui ne manquait pas de soulever des questions au regard des principes de la non-rétroactivité de la loi, du droit de propriété et de la liberté du commerce et de l'industrie. Finalement la clause de grand-père ne devrait pas être limitée dans le temps, nos grands principes semblent ainsi devoir être respectés !

Le projet prévoit à ce stade - mais cela reste encore discuté et donc susceptible de modifications - que les personnes qui auront porté leur participation entre 30% et le tiers entre le 1er janvier 2010 et le 1er février 2011, devront au plus tard le 1er février 2011, date prévue pour l'entrée en vigueur du nouveau seuil déclencheur de 30%, soit réduire leur détention en deçà de 30%, soit déposer un projet d'offre publique obligatoire.

Toute personne physique ou morale concernée par cette disposition sera tenue de déclarer sans délai sa participation en capital et en droits de vote à l'AMF. L'AMF publiera la liste des personnes ayant procédé à cette déclaration.

Il convient de noter que si par exemple du fait de l'existence de droits de vote double, la détention d'un actionnaire au 1er janvier 2010 était inférieure au seuil de 30% en capital et comprise entre 30% et le tiers en droits de vote, alors cet actionnaire ne serait concerné par la "clause de grand-père" que pour sa détention en droits de vote, de sorte qu'il serait soumis au seuil déclencheur de 30% pour sa détention en capital et au seuil déclencheur du tiers pour sa détention en droits de vote.

5. Réorganisation des dérogations. Actuellement le cas de dépôt obligatoire lié au franchissement du seuil du tiers se divise en deux cas de figures, le franchissement du seuil du tiers pouvant se produire à la suite d'une détention directe ou indirecte du capital ou des droits de vote de la société cotée. Ainsi le règlement général de l'AMF se présente en différents articles l'un relatif au franchissement direct du seuil du tiers et l'autre au franchissement indirect du seuil du tiers, c'est-à-dire à la prise de contrôle d'une société mère ayant une filiale cotée sur un marché réglementé français ou européen et représentant une part essentielle des actifs de la société mère. Désormais ces articles seront réorganisés et modifiés.

5.1. L'actif essentiel. Le projet prévoit que les termes "une part essentielle de ses actifs" soient remplacés par "un actif essentiel" dans un souci de mise en cohérence avec les dispositions du code monétaire et financier.

La notion "d'actif essentiel" est apparue dans notre code monétaire et financier par la loi du 26 juillet 2005 dans le cadre de l'amendement appelé "Renault". Certains la rapprochaient de la notion de "part essentielle des actifs" et d'autres de la notion de "principal des actifs" de l'article 236-6 du règlement général de l'AMF. La Cour d'appel de Paris a déjà indiqué que le caractère "principal" d'un actif "suppose non seulement l'importance mais aussi la prédominance". Un actif "essentiel" serait donc un actif important, mais pas nécessairement prépondérant, il pourrait ainsi exister plusieurs actifs essentiels. A noter que dans une affaire, l'AMF a déjà eu l'occasion d'apporter des précisions intéressantes concernant la notion d'"actif essentiel". Afin d'apprécier si sa participation dans la société APRR constituait un actif essentiel de la société Eiffage, l'AMF a en effet procédé à une approche multicritères reposant d'une part sur une analyse quantitative consistant à examiner la contribution d'APRR aux comptes consolidés d'Eiffage, et d'autre part sur une analyse qualitative consistant à appréhender l'intérêt stratégique représenté par APRR pour Eiffage.

5.2. Fusion des articles relatifs au franchissement direct et indirect du seuil de 30%. Le projet de règlement général de l'AMF devrait simplement mentionner dans un seul article les franchissements direct et indirect du seuil de 30%, et réaffecter à l'article prévoyant les cas de dérogations à l'offre publique obligatoire le contenu de l'article actuel sur le franchissement de seuil indirect pour en sauvegarder la dimension dérogatoire.

Ainsi sera conservé le fait qu'une offre obligatoire n'est pas requise si la société fille ne constitue pas un "actif essentiel" de la société mère, et ce dans trois cas correspondant au trois dispositions de l'article actuel : prise de contrôle au sens des textes applicables en amont de la chaîne de détention (1° de l'article 234-3), mise en concert en amont de la chaîne de détention, entraînant une prise de contrôle (2° de l'article 234-3), et fusion ou apport en amont de la chaîne de détention (dernier alinéa de l'article 234-3).

Il est donc proposé de créer un 8° cas de dérogation à l'offre publique obligatoire afin de couvrir le cas de figure actuellement visé au 1° de l'article 234-3.

Le 2° de l'article 234-3 serait réaffecté à l'article 234-7 qui traite des cas de franchissement des seuils déclencheurs d'offre obligatoire par mise en concert.

Enfin, le dernier alinéa de l'article 234-3 est déplacé et un 9° cas de dérogation est créé à l'article 234-9 pour traiter le cas des "actifs non essentiels".

5.3. Extension de la dérogation de franchissement temporaire de seuil. Par ailleurs, il est proposé de modifier la dérogation qui permet à l'AMF d'autoriser le franchissement temporaire du seuil du tiers de manière directe ou indirecte si le dépassement porte sur moins de 3% du capital et des droits de vote et si sa durée n'excède pas six mois.

Les modifications proposées permettraient d'introduire un cas spécifique d'exemption d'offre obligatoire auquel il pourrait être recouru, notamment, si l'application des règles d'assimilation "des accords ou instruments financiers mentionnés au 4° du I de l'article L. 233-9 qui doivent être pris en compte pour le calcul de 30%" conduisait à faire peser l'obligation de dépôt d'un projet d'offre sur un actionnaire de façon injustifiée ou disproportionnée au regard des circonstances. Il s'agirait de viser les situations transitoires dans lesquelles le débiteur potentiel de l'obligation d'offre ne poursuit pas un objectif de prise de contrôle et s'engage à ramener sa détention en deçà du seuil d'offre publique concerné dans un délai raisonnable.

L'autorisation temporaire de franchissement du seuil déclencheur de l'offre obligatoire serait ainsi étendue à la règle de l'excès de vitesse, ne serait plus conditionnée à un quantum maximum (actuellement 3%) et ne serait possible que si le franchissement en cause ne s'inscrit pas dans un dessein de prise de contrôle (ou de renforcement du contrôle, dans le cas d'une détention initialement comprise entre 30% et 50%).

Cette extension du champ d'application de cette dérogation serait un corollaire de la prise en compte des cas d'assimilation de l'article L. 233-9 du code de commerce pour les besoins du calcul du seuil de 30% déclencheur de l'offre obligatoire.

6. Précisions concernant l'offre publique de retrait. La LRBF a précisé la rédaction de l'article L. 433-4 du code monétaire et financier pour que la fusion visée par la procédure d'OPR, actuellement une fusion de la société "avec la société qui la contrôle ou avec une autre société contrôlée par celle-ci", soit aussi la fusion-absorption d'une ou plusieurs sociétés filles par la société mère ou une fusion intragroupe entre sociétés sœurs. En conséquence, l'article 236-6 du règlement général de l'AMF sera adapté afin d'être conforme avec la nouvelle rédaction du code monétaire et financier.

7. Sociétés cotées sur Alternext. Les modifications vont intervenir rapidement, et pour les sociétés qui sont cotées sur Alternext le changement sera particulièrement important. Sur Alternext, le remplacement de la garantie de cours par l'obligation de déposer une offre en cas dépassement du seuil de 50 %, ainsi que la possibilité d'accorder des dérogations, viendront complexifier les mouvements de capitaux. Néanmoins, ce cadre légal permettra à l'AMF d'imposer le respect du principe d'égalité entre les actionnaires, le système actuel ayant montré qu'il n'était pas adapté à toutes les situations. L'insertion du retrait obligatoire à partir de 95 % aiguisera, à n'en pas douter, l'intérêt de certains fonds LBO pour qui le retrait de la cote est une finalité. Les retraits de la cote devraient ainsi pouvoir être envisagés sereinement sans avoir à se soucier des quelques actionnaires qui n'apportaient pas à l'offre et pouvaient se retrouver dans une société radiée de la cote sans que le majoritaire puisse les contraindre à vendre leurs titres.


[1] La date prévue pour leur entrée en vigueur est le 1er février 2011.

[2] Jean-Pierre Martel et Alexis Marraud des Grottes, L'action de concert au cœur du M&A coté, Option Finance/Option Droit & Affaires - Octobre 2010, p.64 et s.