Chronique d'actualité n°12 de droit public
des affaires
Par François Lichère
1/ Contrats publics
- La méconnaissance des règles de passation d'un
contrat et la présence une disposition contractuelle
prévoyant une date de début d'exécution d'un marché
antérieure à sa conclusion n’obligent pas systématiquement
le juge du contrat à prononcer sa nullité (CE 12 janvier
2011, M. Manoukian, req. 338551 et CE 12 janvier 2011,
Société Léon Grosse, req. 334320).
Dans ces deux espèces, le Conseil d’Etat réaffirme
le considérant de principe de la jurisprudence Ville de
Béziers (CE 28 déc. 2009, req. n° 304802) à propos de
l’exception d’illégalité du contrat soulevé lors de deux
litiges nés de l’exécution du contrat, tout en y ajoutant
toutefois la nécessité de prendre en compte « les
circonstances dans lesquelles l’illégalité a été
commise » afin de déterminer si le juge doit prononcer
la nullité. De la première espèce il résulte que, par
principe, la méconnaissance des règles de passation
n’entraîne pas la nullité : « lorsque le juge est
saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les
parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux
règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux
fins d'écarter le contrat pour le règlement du
litige ». Ceci s’explique par le fait que les règles de
passation n’affectent pas le consentement des parties et
aussi parce qu’il existe de nombreux autres moyens
contentieux pour faire sanctionner l’irrégularité de la
procédure de passation. Toutefois, le Conseil d’Etat ajoute
que « par exception, il en va autrement lorsque, eu
égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre
part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise,
le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce
contrat ». En l’espèce, la Cour administrative d’appel
avait annulé le contrat au motif du non respect d’un
seuil de passation et le CE annule son arrêt. On ne peut
toutefois en déduire que l’irrégularité en question n’est
pas d’une gravite telle qu’elle ne pouvait, eu égard aux
circonstances, entraîner la nullité du contrat : le CE
n’annule l’arrêt de la CAA que parce que celle-ci avait
prononcé la nullité en quelque sorte de manière automatique,
sans se prononcer sur la gravité de l’illégalité. On peut
toutefois déduire des conclusions du rapporteur public que
ce pourrait être le cas d’une absence totale de publicité
si, par ailleurs, les circonstances de l’achat renforcaient
la gravité de l’infraction (objet, montant, caractéristiques
de la concurrence, importance de la collectivité publique et
de son cocontractant). Dans la deuxième
espèce en revanche, le juge découvre une illégalité qui, en
principe, doit entraîner la nullité du contrat : une
disposition contractuelle qui prévoit une date de début
d’exécution d’un marché antérieure à sa conclusion entraîne
normalement la nullité du contrat. Cette solution peut se
prévaloir, non pas de l’illégalité de la rétroactivité d’un
contrat (car une telle rétroactivité est possible, CE Sect.
19 nov. 1999, Fédération syndicale Force ouvrière des
travailleurs des Postes et télécommunications), mais de la
volonté de sanctionner des marchés de régularisation. En
l’espèce, tel n’était pas le cas dans la mesure où la
stipulation était contraire à une clause de l’acte
d’engagement qui prévoyait une date de début d’exécution à
compter de la notification et que l’acte d’engagement avait
une valeur contractuelle supérieure au document contenant la
stipulation litigieuse. Ces solutions sont
à mettre en parallèle avec un arrêt du même jour (Société
des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, req.
332136) qui applique les principes de la jurisprudence
Ville de Béziers à un contrat administratif passé entre deux
personnes privées et qui juge que les irrégularités,
« eu égard à leur nature et aux circonstances dans
lesquelles elles auraient été commises (…) tirées soit de
l'inapplication par elle-même des dispositions du code des
marchés publics, des dispositions du décret du 26 mars 1993
relatif aux contrats visés au I de l'article 48 de la loi n°
93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la
corruption et à la transparence de la vie économique et des
procédures publiques, de prescriptions du droit
communautaire au contenu équivalent ou de principes généraux
relatifs à la présentation des candidatures à l'attribution
du marché, soit de manquements de sa part au principe
d'égalité entre les candidats au cours de la consultation,
ne saurait être regardée comme un vice d'une gravité telle
que le juge doive écarter le contrat ». Enfin, le CE
a eu l’occasion de réitérer la solution de l’arrêt Ville de
Béziers, s’agissant du vice de la signature du contrat avant
transmission de la délibération autorisant la signature et à
propos d’une délégation de service public, tout en jugeant
également que n’étaient pas graves l'absence de publication
ou de notification de la délibération autorisant la
signature du contrat, le fait que le mode de rémunération du
contrat conclu imposait qu'il soit soumis aux règles du Code
des marchés publics du fait d'une clause garantissant la
couverture des déficits d'exploitation. L’argument utilisé
sur ce dernier point ne laisse pas d’interroger dans la
mesure où le Conseil d’Etat estime que la subvention
d’équilibre n’avait pas été mise en œuvre et que par
conséquent le contrat ne pouvait être requalifié en marché
public alors que l’on aurait pu estimer que la nature d’un
contrat ne devrait pas dépendre de la mise en œuvre d’une
clause. Au passage, le Conseil d’Etat juge non
conventionnelle une loi de validation pour atteinte au droit
à un procès équitable au profit de personnes publiques
(CE 10 novembre 2010, Commune de Palavas les flots,
req. 314449).
- Une personne publique délégant un service public peut
accepter une offre incomplète sous conditions (CE 5 janvier
2011, Société voyages Dupas Lebeda, req.
342158).
Dans le cadre d’une
délégation de service public, dont on sait que la
négociation est de droit, le Conseil d’Etat admet ici que la
personne publique puisse accepter une offre qui ne comporte
pas tous les documents requis par le règlement de
consultation avant d’entrer en négociation, mais sous
conditions : en effet, « l'autorité habilitée à
signer la convention de [DSP] ne peut [...] engager de
négociation avec un opérateur économique dont l'offre n'est
pas accompagnée de tous ces documents ou renseignements que
si cette insuffisance, d'une part, ne fait pas obstacle à ce
que soit appréciée la conformité de l'offre aux exigences du
cahier des charges et, d'autre part, n'est pas susceptible
d'avoir une influence sur la comparaison entre les offres et
le choix des candidats qui seront admis à participer à la
négociation ». Une solution un peu sévère au regard de la
jurisprudence passée (voir CE 14 mars 2003, Société Air
lib., req. 251610) et qui tend à rapprocher les
délégations de service public des marchés publics en ce que
le code des marchés publics interdit de rattraper les offres
inappropriées (cf. article 66-V, 2e alinéa) mais
permet, a contrario, au pouvoir adjudicateur de négocier
avec les entreprises qui ont déposé des offres irrégulières
ou inacceptables.
- La décision de transformer une
convention d’occupation du domaine public en délégation de
service public constitue un motif d’intérêt général
suffisant à justifier la résiliation de la convention
d’occupation domaniale (CE 19 janvier 2011, Commune de
Limoges, req.
323924).
En l’espèce, était en cause une convention
d’occupation du domaine en vue de l’exploitation d’un
hôtel-restaurant dans l’enceinte du golf municipal. Alors
que le Conseil d’Etat confirme qu’il ne pouvait y avoir en
l’espèce résiliation pour faute, il adopte une solution
différente de la Cour administrative d’appel sur la
résiliation pour motif d’intérêt général. Il juge en effet
que la Commune avait clairement manifesté son intention de
transformer la gestion de l’hôtel restaurant en activité de
service public en prévoyant des obligations de service
public « tenant notamment aux horaires et jours
d'ouverture de l'établissement ». L’affaire est
néanmoins renvoyée devant la Cour pour l’évaluation du
préjudice, étant entendu que le Conseil rappelle que la
société ne saurait être indemnisée du préjudice lié à la
perte d’un fond de commerce, un tel fond de commerce ne
pouvant exister sur le domaine public. En outre, et de
manière quelque peu surprenante, le Conseil d’Etat juge que
la société titulaire du contrat d’occupation n’a pas qualité
lui donnant intérêt à agir à contester la délibération se
prononçant sur le principe de la délégation.
- Le bouleversement de l’économie d’un contrat
s’apprécie au regard de l’ensemble d’un marché unique et non
du seul lot technique concerné par des avenants (CE 10
janvier 2011, SARL entreprise Mateos, req.
316783).
L'entreprise en
question s'était vu confier un lot d'un marché de mise en
conformité d'un bâtiment à la réglementation sur les
incendies puis par quatre avenants successifs le montant de
ce lot avait quasiment quintuplé. Après réclamation,
l'entreprise a alors formé un recours tendant à voir reconnu
son préjudice né du bouleversement de l'économie du contrat,
lequel est rejeté du fait de l’absence d’un tel
bouleversement au regard de l’ensemble du montant du marché
(augmentation de 13 %). La solution peut s’expliquer par
le fait qu’il s’agissait d’un marché unique confié à un
groupement d’entreprise et qu’une des sociétés de ce
groupement s’était vue confier un lot
« technique » de ce marché unique. Il est probable
qu’il en eut allé autrement s’il s’agissait d’un marché
alloti puisqu’en ce cas on considère généralement que chaque
lot donne lieu à un marché à part entière.
- La LOPPSI II (loi du 14 mars 2011 – article 96)
prolonge la possibilité de conclure un bail emphytéotique
administratif (BEA) pour les besoins de la justice, de la
police ou de la gendarmerie nationales jusqu'au 31 décembre
2013 et les soumet, au-delà d'un certain seuil, à une
évaluation préalable. En outre, les conseils généraux
peuvvent en faire de même pour les services d’incendie et de
secours. Enfin, tous les BEA devront être précédés, « le cas
échéant », de mesures de publicité et de mise en
concurrence, dont les modalités seront précisées par décret
en Conseil d'Etat.
« Le cas
échéant » doit sans doute viser uniquement les BEA dits
allers retours ou avec convention de mise à disposition et
très probablement le BEA de gestion ou valorisation créé par
la loi du 12 juillet 2010. Les deux premiers points
visent à prolonger temporairement la possibilité de conclure
des BEA pour des besoins qui ne sont pas directement ceux de
la collectivité propriétaire du terrain.
- Dans le cadre des marchés de l'annexe II B de la
directive 2004/18/CE, la pondération des critères peut être
annoncée après la date de présentation des offres mais ne
peut être modifiée après l'examen initial de ces offres
(CJUE 18 nov. 2010, Commission c/ Irlande, aff.
C-226/09).
Même si, pour le Cour
de justice, il importe peu que cette illégalité n’ait pas
modifié l’appréciation des offres, on doit considérer que
cette solution n’est pas transposable à la France dans la
mesure où le Conseil d’Etat va plus loin en imposant la
transparence des critères de choix dans les MAPA, ce que
sont les marchés de service de l’article 30 du code des
marchés publics qui correspondent aux marchés de service de
l’annexe II.B.
2/ Aides publiques
- La participation au capital d’une
SEM sous forme de prime d’émission est constitutive d’une
aide illégale (CE 10 nov. 2010, Communauté de communes du
nord du bassin de Thau, req. n°
313590).
A
l’occasion d’une opération sur le capital dite « coup
d’accordéon », la personne publique a versé à la SEM
une prime d'émission qui représente normalement la
différence entre la valeur réelle de l'action et sa valeur
nominale. En l’espèce, cette prime d'émission représentait
plutôt une forme déguisée d'apport de fonds. En matière de
participation au capital, le Conseil d’Etat avait déjà
procédé à une annulation pour cause d’erreur manifeste
d’appréciation eu égard d’une part, à la situation
financière de la SEM et d’autre part à la capacité
financière de la personne publique (CE 17 janv. 1994, Préfet
du département des Alpes-de-Haute-Provence c/ Commune
d'Allos, req. n° 133837). C’est d’ailleurs parce que la Cour
administrative d’appel n’avait pas tenu compte de la
capacité financière de la personne publique que le Conseil
d’Etat annule son arrêt. Mais il prononce quand même la
nullité de l’aide au motif qu’elle n’entre pas dans les cas
permettant de déroger au droit des aides locales aux
entreprises tels que prévus par la loi du 2 mars 1982
modifiée, y compris ceux introduits par la loi du 2 janvier
2002 et repris par la loi du 13 aout 2004 relatifs aux
avances.
- Le caractère définitif d'une
décision juridictionnelle peut faire échec à la récupération
d'une aide d’Etat incompatible avec le droit de l’Union
européenne (CJUE 22 déc. 2010, Commission c/ République
slovaque, aff. C-507/08).
Une
telle solution ne s’explique que parce que la décision
juridictionnelle dotée de la force de chose jugée dont se
prévaut la République slovaque est antérieure à la décision
par laquelle la Commission a imposé la récupération de
l’aide litigieuse, contrairement à l’affaire Lucchini (CJCE,
18 juillet 2007, Lucchini, C-119/05). Et cette situation
n’empêche pas la république slovaque d’être condamnée pour
manquement.
3/ Droit public de la concurrence
- La validation législative des autorisations
d’équipement commercial en tant qu'elles seraient contestées
eu égard au caractère non nominatif de l'arrêté préfectoral
fixant la composition de la commission départementale
d'équipement commercial (CDEC) ne soulève pas de questions
sérieuses de constitutionnalité (CE 26 janvier 2011, SAS
Auxa, req. 344204).
La loi du 4
aout 2008 a été adoptée après l'arrêt Société
Leroy-Merlin (CE 16 janv. 2008. req. n° 296528,) qui
avait jugé illégaux les arrêtés préfectoraux ne permettant
pas de connaître l'identité des membres des CDEC. Le Conseil
d’Etat juge qu’il n’y a pas lieu à renvoyer la question de
la constitutionnalité de la loi au Conseil constitutionnel.
Cette solution paraît fort logique dès lors que le Conseil
d’Etat avait déjà jugé que cette validation législative
était justifiée par un impérieux motif d'intérêt général et
qu’elle ne méconnaissait donc pas le droit à un procès
équitable garanti par l'article 6 de la Convention
européenne des droits de l'homme (CE 18 nov. 2009,
Société Etablissements Pierre Fabre, req. n° 307862).
Or l’on sait que le contrôle de conventionalité est, dans ce
domaine, au moins aussi exigeant que le contrôle de
constitutionnalité.
- La loi du 16 décembre 2010
permet la conclusion, entre collectivités et entre
structures intercommunales, de conventions « ayant pour
objet la réalisation de prestations de services » et
qui dans certains cas sont exclues du champ d'application du
droit de la commande publique.
Cette exclusion ne s’applique que « lorsque les
prestations qu'elles réalisent portent sur des services non
économiques d'intérêt général au sens du droit de l'Union
européenne (…). La participation au financement d'une
prestation ne saurait, à elle seule, être assimilée à une
coopération au sens du présent alinéa ». Une
solution dépassant le simple cadre de la mutualisation des
services (déjà existante mais modifiée par la même loi, cf.
article L 5111-1-1 du CGCT) et destinée à contrecarrer
toutes velléités contraires, en particulier à l’initiative
de la Commission de Bruxelles. Elle peut s’appuyer sur une
jurisprudence récente de la CJUE, intervenue il est vrai
dans un autre contexte (CJCE 9 juin 2009, Commission c/
RFA).
- Le principe de liberté d'établissement
s'oppose d’une part à une réglementation qui subordonne
l'autorisation d'exploiter une ligne urbaine de transport
public à la condition que l'entreprise sollicitant cette
autorisation dispose d'un siège ou d'un établissement sur le
territoire de cet Etat membre avant l’octroi de
l’autorisation, et d’autre part à la condition que cette
autorisation ne compromette pas la rentabilité de
l'entreprise déjà titulaire de la concession de cette ligne
(CJUE 22 déc. 2010, Yellow Cab Verkehrsbetriebs GmbH,
aff. C-338/09).
4/ Biens et travaux publics
- Un contrat ayant pour objet la pose d'un réseau de
fibres optiques le long d'une autoroute a le caractère d’un
marché de travaux publics bien que passé entre deux
personnes privées (CE 12 janvier 2011, Société des
autoroutes du Nord et de l’Est de la France, req.
332136).
Le fait qu’un contrat
passé entre deux personnes privées puisse être administratif
est loin d’être nouveau et, en l’espèce, on retrouve une des
hypothèses (la première historiquement) pour lesquelles le
juge estime qu’une personne privée agit « pour le
compte d’une personne publique » : la construction
des routes appartenant par nature à l’Etat, le tribunal des
conflits avait jugé dès 1963 que les litiges relatifs à des
contrats passés entre personnes privées ayant pour objet de
tels travaux relèvent du juge administratif (TC 8 juillet
1963, Société entreprise Peyrot). Mais le juge avait refusé
d’appliquer cette jurisprudence à la construction d’un
bâtiment abritant les bureaux de la société concessionnaire
(CE 9 févier 1994, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône).
L’originalité de l’arrêt commenté est d’étendre cette
hypothèse à la pose d’un réseau de fibres optiques dont on
pouvait avoir a priori du mal à y voir la
construction d’une route nationale. Mais le Conseil d’Etat
étend la solution en raison du fait que « les travaux
ainsi exécutés avaient pour finalité la réalisation d'un
réseau de fibres intégré à l'ouvrage principal ». Un
exemple intéressant de l’extension de la notion de travaux
publics routiers sans recours à la théorie de l’accessoire,
laquelle pouvait difficilement trouver à s’appliquer ici
mais par référence à « l’intégration » dans
l’ouvrage public (pour une application de l’accessoire dans
le domaine autoroutier, voir TC 4 novembre 1996 Espinosa c/
Escota, à propos de travaux d’insonorisation d’un immeuble
privé en raison de la proximité de l’autoroute).
- La responsabilité décennale ne peut être engagée pour
non-conformité à une réglementation entrée en vigueur après
l’achèvement des travaux (CE 19 janvier 2011, Commune de
Gueugnon, req. 322638).
La
solution peut paraître évidente, elle ne l’était pas tant
dans la mesure où la passerelle en question, qui n’avait pas
aménagé un accès handicapé, n’avait pas encore fait l’objet
d’une réception définitive au moment de la nouvelle
réglementation.
- L’indemnisation du seul préjudice matériel en cas
d’expropriation n’est pas inconstitutionnelle (CC 21 janvier
2011 n° 2010-87-QPC).
En
conséquence, la douleur morale éprouvée par le propriétaire
pour la perte de son bien n’a pas à être indemnisée. En
revanche, « le caractère intégral de la
réparation matérielle implique que l'indemnisation prenne en
compte non seulement la valeur vénale du bien exproprié mais
aussi les conséquences matérielles dommageables qui sont en
relation directe avec
l'expropriation ».
4/ Urbanisme et
environnement
- Il n’y a pas lieu de suspendre le décret n° 2010-1510 du
9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de
l'électricité produite par certaines installations utilisant
l'énergie radiative du soleil (CE 28 janvier 2011, Société
Ciel et Terre, req. 344973)
. Pour le juge du référé du Conseil d’Etat, ce n’est
pas tant l’absence d’urgence que l’intérêt public qui
justifie le rejet du référé suspension car « si le décret
contesté est susceptible d'entraîner pour les entreprises
concernées par la suspension un préjudice économique,
pouvant revêtir pour certaines un caractère de gravité, ce
préjudice doit être mis en balance avec l'intérêt public qui
s'attache au réexamen d'un système incitatif dont les
effets, dans son équilibre actuel, risquent de soumettre les
consommateurs d'électricité à des prélèvements
compensatoires en forte hausse ». Il ajoute, de manière
inédite s’agissant d’un référé suspension, « qu'il
convient également de prendre en compte les risques que
ferait courir aux auteurs de projets d'installations
solaires une suspension du décret en référé, dans
l'hypothèse d'un rejet ultérieur de leurs recours au
fond ». Autrement dit, le référé suspension est
également rejeté car la décision au fond qui serait
éventuellement contraire à la suspension pourrait entraîner
un préjudice trop important pour les requérants, dans la
mesure où ceux-ci auraient alors probablement investis dans
l’attente du jugement au fond. Une solution originale dans
la mesure où en principe le juge du référé refuse de prendre
en considération les effets du futur jugement au fond pour
apprécier l’urgence à suspendre. Cette solution est
néanmoins surprenant car on pourrait attendre des
investisseurs qu’ils fassent preuve de prudence dans
l’hypothèse d’une simple suspension dans l’attente du
jugement au fond.
La loi du 12 juillet 2010, validant
rétroactivement les dispositions de l'arrêté du 12 janvier
2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite
par les installations utilisant l'énergie radiative du
soleil et qualifiant les contrats d’achats de contrats
administratifs, ne présente pas d’inconstitutionnalité
sérieuse justifiant un renvoi au Conseil constitutionnel (CE
19 janvier 2011, EARL SCHMITTSEPPEL, req.
343389). Pour le Conseil d’Etat, « à
supposer même que les arrêtés du 12 janvier 2010 aient porté
atteinte à l'économie de contrats légalement conclus, les
dispositions du IV de l'article 88 répondent à un but
d'intérêt général suffisant ; qu'elles ne valident les
arrêtés mentionnés ci-dessus qu'en tant qu'ils seraient
contestés sur le fondement de moyens tirés, d'une part,
d'une irrégularité de consultation, d'autre part, de
l'application immédiate des nouvelles règles tarifaires à
des demandes de contrat d'achat déjà formulées ; qu'elles
réservent expressément les décisions passées en force de
chose jugée ; qu'aucune pénalité rétroactive ne peut se
fonder sur elles ». Au passage, la loi qualifie les
contrats d’achats d’électricité de contrats administratifs,
nature qu’ils avaient perdue du fait de la privatisation
d’EDF, et ajoute ainsi un cas de contrats administratifs
entre personnes privées par détermination de la loi après le
décret-loi du 17 juin 1938 s’agissant des conventions
d’occupation du domaine public passées par les
concessionnaires de service public et l’ordonnance du 15
juillet 2009 s’agissant de contrats de concession passés par
des autorités concédantes de droit privé (personnes privées
soumises à l’ordonnance du 6 juin 2005).
La notion de dépenses pouvant être mises à la
charge des constructeurs dans le cadre d’une ZAC s’entend
très largement (CE 23 décembre 2010, Société d’équipement
du Biterrois et de son littoral, req.
n°307124). On sait que l’obligation de
mettre à la charge des constructeurs le coût réel des
équipements publics induits par une ZAC peut prendre la
forme, par dérogation au régime normal de financement des
équipements publics, d’une prise en charge des équipements
publics en contre partie d’une exonération de la taxe locale
d’équipement. Le contentieux peut se nouer quant à
l’interprétation à donner des équipements publics que le
constructeur doit prendre à sa charge (CGI, article 1585, C,
1°). Le Conseil d’Etat confirme ici qu’il entend adopter
une conception assez large des dépenses qui peuvent être
mises à la charge des constructeurs (cf. CE 11 décembre
1996, Commune de Fabrègues,
n°150175), même s’il ne va pas aussi loin que l’auraient
espéré les aménageurs qui auraient aimé faire peser
davantage de dépenses sur les épaules des constructeurs.
Certes, les dépenses qui n’ont pas été exposées pour la
construction des équipements publics « destinés aux
habitants ou usagers des constructions » de cette zone
y échappent. Mais dans l’application de cette restriction,
le Conseil d’Etat, comme la cour administrative d’appel mais
contrairement au tribunal administratif et au rapporteur
public près le Conseil d’Etat dans ses conclusions sur cette
affaire, admet que les coûts d’études générales
pré-opérationnelles, les frais financiers, les frais de
commercialisation et les frais généraux de la société
chargée de la réalisation de la ZAC peuvent faire parti des
dépenses à la charge des constructeurs pour autant qu’elles
sont « exposées spécifiquement pour la construction des
équipements publics destinés aux usagers de la zone ».
Il reste, pour les aménageurs, à apporter la preuve que ces
dépenses ont été exposées spécifiquement par le
constructeur.
Le refus de raccorder au réseau d’eau potable
deux habitations irrégulières mais servant de domicile à une
famille, constitue une ingérence de l’autorité publique dans
le droit au respect de la vie privée et familiale et ne peut
être justifiée que par sa proportionnalité à l’objectif
légitime poursuivi (CE 15 décembre 2010, Mme Bayer, req. n°
323250). L’arrêt posait au préalable la
question de la compétence du maire : ce dernier n’étant
compétent que pour refuser un branchement définitif, bon
nombre de demandes ne concernent que des branchements
provisoires. Dès lors, le maire va généralement soit
requalifier la demande en demande définitive, et le juge
doit alors apprécier si cette requalification est bien
fondée, soit refuser explicitement ou implicitement cette
demande. Alors que le juge aurait pu annuler le refus pour
vice d’incompétence si la requérante avait contesté le
caractère définitif du branchement qualifié comme tel par le
tribunal administratif (CE 12 décembre 2003 M. Cancy, req.
257794), il annule pour un tout autre motif tiré de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales. Au terme de l’article 8 § 2 de
la CEDH, « « il ne peut y avoir ingérence d’une
autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour
autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle
constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est
nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au
bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à
la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale ou à la protection des droits et
libertés d’autrui. » Or la Cour de Strasbourg procède
de la manière suivante : elle identifie d’abord une
éventuelle ingérence de l’autorité publique dans les droits
garantis par l’article 8, puis, en cas d’ingérence, elle
vérifie si ses motifs sont pertinents et suffisants pour
justifier l’atteinte, c’est-à-dire elle se prononce la
proportionnalité de la mesure. En l’espèce, le Conseil
d’Etat sanctionne la Cour administrative d’appel d’avoir
jugé qu’il n’y avait pas ingérence et lui renvoie la
question de savoir si l’atteinte est disproportionnée.
Un arrêt qui ouvre des perspectives intéressantes
d’utilisation de la CEDH afin de contrer des dispositions, y
compris législatives, qui visent à protéger les
propriétaires privés ou publics.
Le législateur n’a pas commis d’incompétence
négative susceptible de porter atteinte à la libre
administration des collectivités locales en laissant, par
l’article L 121-9 du code de l’urbanisme, le soin au pouvoir
réglementaire de déterminer les conditions relatives aux
dispositions générales communes aux schémas de cohérence
territoriale, aux plans locaux d'urbanisme et aux cartes
communales (CC, 28 janvier 2011, n°
2010-95-QPC). Une solution qui n’allait pas
de soit s’agissant des dispositions permettant de
déterminer la nature des projets d'intérêt général et
d'arrêter la liste des opérations d'intérêt national,
procédures qui permettent d'imposer aux collectivités
territoriales une modification des documents d'urbanisme ou
de limiter leurs compétences.
L'article 12 de loi du 5 janvier 2011 portant
diverses dispositions d'adaptation de la législation au
droit de l'Union européenne impose de tenir compte des
incidences énergétiques et environnementales des véhicules
sur toute sa durée de vie achetés par les personnes
auxquelles ont été confiées, de manière unilatérale ou
contractuelle, la gestion et l'exploitation d'un service
public de transport de
personnes. | |
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