Chronique d'actualité n°10 de droit public
des affaires
Juin-juillet-août-septembre 2010
Par François Lichère

1/ Contrats publics
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Le Conseil d'Etat interprète
favorablement la condition de l'urgence permettant de
justifier du recours au contrat de partenariat (CE 23
juillet 2010, M. Jean-Pierre Lenoir et SNSO). La
haute juridiction confirme l'arrêt de la Cour d'appel de
Nantes qui avait, contrairement au tribunal administratif
d'Orléans, jugé que le conseil général du Loiret était fondé
à recourir au contrat de partenariat pour la construction du
collège de Villemandeur. Elle le fait au terme d'un
raisonnement qui peut marquer sa volonté de ne pas refreiner
les velléités de recours à ces contrats globaux. D'une part,
la définition de l'urgence qu'en donne le Conseil d'Etat
s'inspire, pour une affaire pourtant antérieure à la loi du
28 juillet 2008, de la définition qu'en a donné cette loi,
notamment en ce qu'il n'est pas nécessaire de s'interroger
sur les causes de ce retard. Autrement dit, le fait que le
retard soit imputable, en tout ou partie, à la personne
publique elle-même importe peu. D'autre part, il juge légal
le raisonnement de la Cour qui s'était aussi appuyé sur des
données factuelles postérieures à la décision de recourir au
contrat de partenariat. Il ne faut pas voir là pour autant
une exception au principe selon lequel, en excès de pouvoir,
l'appréciation de la légalité s'opère à la date de la
décision contestée : le Conseil d'Etat indique
simplement que ces circonstances « éclairaient les
conséquences du retard invoqué ». Enfin, il juge qu'il
n'appartenait pas à la Cour de rechercher si le contrat de
partenariat permettait de gagner effectivement du temps et
il estime ce motif, utilisé par la Cour, comme surabondant
et sans incidence sur la solution. Par ailleurs, le
Conseil d'Etat confirme que le rapport d'évaluation n'a pas
à prouver que la solution du contrat de partenariat est la
meilleure possible mais simplement vise à informer des
avantages respectifs des différentes solutions
contractuelles. Cette jurisprudence apparaît comme un
utile assouplissement alors que le nombre de contrats de
partenariat demeure dans des proportions assez faibles
malgré l'introduction du motif de l'efficience (332 projets
depuis 2004). On doit mettre cet arrêt en perspective
avec un jugement du tribunal administratif de Montpellier
(DA, juin 2010, comm. 94) qui a admis le recours au contrat
de partenariat pour cause complexité technique dans une
hypothèse originale dans laquelle la complexité résultait du
projet architectural établi préalablement au lancement du
contrat de partenariat pour la construction du théâtre de
Perpignan. Enfin, la MAPPP vient d'actualiser sa fiche sur
les motifs de recours au contrat de partenariat dans
laquelle elle détaille notamment le nouveau cas dit de
l'efficience introduit par la loi du 28 juillet 2008.
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Les exigences de transparence des
critères de choix des offres peuvent s'étendre à la
sous-pondération ou la sous-hiérarchisation (CE 26 juin
2010, Commune de Saint-Pal-de-Mons). Le Conseil
d'Etat juge ici que, lorsque la personne publique établit
des sous-critères pour mettre en œuvre les critères de choix
et les pondèrent ou les hiérarchisent, non seulement ces
sous-critères doivent être portés à la connaissance des
candidats mais il en va de même de leur pondération ou de
leur hiérarchisation. A bien lire l'arrêt toutefois, cette
transparence n'est pas systématique puisqu'elle ne vaut que
« dès lors que, eu égard à leur nature et à
l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils
sont susceptibles d'exercer une influence sur la
présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur
sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés
comme des critères de sélection ». En l'espèce, il en
allait ainsi compte tenu de la nature des sous-critères mis
en œuvre et de l'importance de leur pondération, le seul
sous-critère du critère de la valeur technique «
méthodologie et adaptation au contexte local » étant pondéré
pour 28%. En revanche, rien ne permet de dire que
l'exigence de pondération plutôt que de hiérarchisation
s'impose pour les sous-critères à la lecture de l'arrêt.
Néanmoins, l'assimilation des sous-critères importants à de
véritables critères pourrait conduire à appliquer l'article
53 du code des marchés publics qui impose, en principe, la
pondération des critères de choix pour les procédures
formalisées.
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Le contrôle du juge sur la division en
lot est un contrôle restreint et la méthode de notation des
offres n'a pas à être communiquée aux candidats (CE 21 mai
2010, Commune d'Ajaccio). Sur le premier point, le
Conseil d'Etat sanctionne le juge du référé pour avoir
procédé à un contrôle normal sur la mise en œuvre de
l'article 10 du code des marchés publics et, jugeant au fon,
il estime que la simple division en deux lots, conseils
juridique et représentation en justice, n'est pas entachée
d'une telle erreur, ce qui ne paraît pas, selon nous, de
nature à prévenir tout risque d'appels d'offres « sur
mesure ». Le second point peut aussi surprendre dans
la mesure où la tendance générale est à la transparence de
tous les éléments conduisant à l'appréciation des offres. On
doit considérer que la méthode de notation est implicitement
jugée par le Conseil d'Etat comme interne à l'administration
et donc sans influence sur la construction des offres des
candidats. Or une telle indication est pour le moins
surprenante quand l'on sait en pratique comment les méthodes
de notation peuvent valoriser ou au contraire minorer les
écarts entre les offres sur un même critère. Le Conseil
d'Etat fait par ailleurs preuve de pragmatisme en ne
sanctionnant pas l'insuffisante précision d'un critère dès
lors que le pouvoir adjudicateur n'a finalement pas attribué
de notes sur la base de ce critère et que, par conséquent,
le requérant ne peut être lésé par cette éventuelle
illégalité en application de la jurisprudence SMIRGEOMES
relative au référé précontractuel.
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Les règles de calcul des dommages et
intérêts à verser à l'entreprise illégalement évincée de
l'attribution d'un marché public et ayant une chance
sérieuse d'obtenir le marché sont modifiées (CE 8 février
2010, Commune de La Rochelle). Désormais, le juge
doit déterminer les dommages et intérêts non sur la base du
taux de marge brute constaté dans son activité mais en
fonction du bénéfice net qu'aurait procuré le marché au
requérant.
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La vente d'un terrain public à une
entreprise peut, dans certains cas, être assimilée à un
marché de travaux si cette vente présente un « intérêt
économique direct pour le pouvoir adjudicateur » (CJUE
25 mars 2010, Helmut Muller GmbH, aff. C-451/08). Cet
important arrêt apporte plusieurs enseignements qui vont
dans le sens d'une conception extensive de la notion de
marché public de travaux, à deux exceptions près. La Cour
définit largement la notion de contrat de caractère onéreux
en jugeant que cette condition vise tous les cas dans
lesquels le pouvoir adjudicateur reçoit une prestation
moyennant une contrepartie. Or, une telle prestation
« doit comporter un intérêt économique direct pour le
pouvoir adjudicateur ». Cette notion nouvelle vise soit
les cas dans lesquels le pouvoir adjudicateur deviendra
propriétaire des travaux ou de l'ouvrage objet du contrat,
soit les cas dans lesquels le pouvoir adjudicateur disposera
d'un titre juridique qui lui assurera la disponibilité des
ouvrages en vue de leur affectation publique, soit dans les
cas d'avantages économiques « que le pouvoir
adjudicateur pourra tirer de l'utilisation ou de la cession
futures de l'ouvrage, dans le fait qu'il a participé
financièrement à la réalisation de l'ouvrage ou dans les
risques qu'il assume en cas d'échec économique de
l'ouvrage ». Cette dernière branche de l'alternative
(elle-même composée de 3 hypothèses alternatives) est
particulièrement large et nécessitera d'être appréciée au
cas par cas dans la mesure où la CJUE semble avoir voulu
donné un canevas d'analyses en dehors de tout contexte
concret. Par ailleurs, la notion de « besoins
précisés par le pouvoir adjudicateur » implique que ce
dernier ait pris des mesures afin de définir les
caractéristiques de l'ouvrage ou, à tout le moins, d'exercer
une influence déterminante sur la conception de
celui-ci. A titre d'exceptions à cette conception
extensive de la notion de travaux, on trouve d'une part
« le simple exercice de compétence de régulation en
matière d'urbanisme visant la réalisation de l'intérêt
général » et d'autre part l'éventualité de la
réalisation de travaux sur le terrain vendu.
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Des modifications substantielles d'un
contrat de concession de services impliquent de passer un
nouveau contrat et de lancer une nouvelle procédure
d'attribution (CJUE 13 avril 2010, Wall AG, aff.
C-91/08). Bien que la concession de service ne soit
soumise qu'au principe jurisprudentiel de la
« publicité adéquate » en application de la
jurisprudence Telaustria, une modification substantielle
implique la passation d'une nouvelle concession. Le
caractère substantiel de la modification est caractérisé
lorsque sont introduites des conditions qui, si elles
avaient figuré dans la procédure d'attribution initiale,
auraient permis l'admission de soumissionnaires autres que
ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une
offre autre que celle initialement retenue. En l'espèce, un
changement de sous-traitant, même quand la possibilité est
prévue par le contrat, pourrait éventuellement constituer
une telle modification substantielle s'il est probable que
la concession a été attribuée en raison de l'identité du
sous-traitant que le candidat à la concession avait
présenté. L'arrêt est également intéressant en ce qu'il
pose des obligations de transparence au concessionnaire de
service dans ses contrats avec les tiers si le
concessionnaire peut être assimilé à une autorité publique,
ce qui est le cas si, cumulativement, l'entreprise concernée
est sous le contrôle effectif d'une autorité publique et si
elle n'opère pas en situation de concurrence sur le marché.
En l'espèce, aucune de ces deux conditions n'étaient
remplies, la détention de 51 % du capital par une autorité
publique étant ici insuffisante à caractériser un tel
contrôle dans la mesure où une majorité des ¾ est nécessaire
pour l'adoption des décisions de l'assemblée générale et où
les 49 % restant ne sont pas détenus par des autorités
publiques.
2/ Aides publiques
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Les obligations de récupération des aides
d'Etat illégalement versées n'interdisent pas, sous
conditions, l'annulation pour vice de forme du titre de
recettes (CJUE 20 mai 2010, aff. C-210/09). Dans le
contentieux sans fin de la récupération des aides
illégalement versées à la société Kimberly Clark par le
département du Loiret et la ville d'Orléans (en raison d'un
taux préférentiel pour les redevances d'assainissement), la
CJUE apporte une précision supplémentaire. Après avoir jugé
en 2006, dans ce même contentieux, que le caractère
suspensif du recours contre l'émission de titre exécutoire
était contraire au principe d'effet utile du droit
communautaire dans le cas de la récupération des aides
illégalement versées, elle vient juger ici que l'émission de
ces titres de recettes peut être annulée pour vice de forme.
Néanmoins, le juge limite considérablement la portée de
cette annulation pour un tel vice en ce qu'il ne l'admet que
lorsque la possibilité de la régularisation de ce vice de
forme est assurée par le droit national et sous conditions
que les sommes en cause ne puissent être, même
provisoirement, versées de nouveau au bénéficiaire de cette
aide. Une solution qui rend donc sans grand intérêt un tel
recours en annulation pour le seul motif d'un vice de forme.
3/ Droit public de la concurrence
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Loi du 28 mai 2010 créé une nouvelle
forme sociétale : les sociétés publiques
locales. Cette loi vient généraliser une formule déjà
adoptée pour l'aménagement avec les SPLA et qui permet à de
telles sociétés de bénéficier de l'exception « in
house » dans leurs rapports contractuels avec les
personnes publiques : dans la mesure où le capital sera
à 100 % public, les contrats que les collectivités locales
passent avec ces sociétés n'ont pas à être soumis au code
des marchés publics par application de l'article 3.1 de ce
code. On doit néanmoins relever les contraintes propres de
cette forme sociale, introduite en droit français simplement
par 4 articles votés à la suite d'une proposition de loi,
c'est-à-dire à l'initiative des parlementaires : la loi
est plus restrictive que la jurisprudence Teckal puisque les
SPL doivent exercer leur activité
« exclusivement » et non essentiellement pour les
personnes publiques ; ces sociétés ne peuvent avoir que
deux actionnaires ; si la loi renvoie au code de
commerce donc au droit commun des sociétés anonymes, elle
opère également un renvoi aux dispositions du CGCT relative
aux SEM, ce qui implique un contrôle préfectoral ;
l'objet de SPL est identique à celui des SEM, ce qui
signifie qu'elles ne devraient pas pouvoir intervenir dans
le champ concurrentiel, d'autant qu'elle doivent répondre
exclusivement aux besoins des personnes publiques, ce qui
interdit des activités accessoires même en lien avec leur
activité principale.
4/ Urbanisme et environnement
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Le Conseil constitutionnel déclare
inconstitutionnel l'article L 332-6-1 du code de l'urbanisme
avec effet dès publication de la décision (CC 22
Septembre 2010, n° 2010-33-QPC). Cette disposition du
code de l'urbanisme permet de mettre à la charge du
bénéficiaire d'une autorisation de construire une
contribution aux dépenses d'équipements publics sous la
forme de cession gratuite de terrain dans la limite de 10 %
de la superficie du terrain auquel s'applique la demande. Il
y voit une atteinte au droit de propriété garanti à
l'article 17 de la DDHC dans la mesure où elle instaure un
large pouvoir d'appréciation au profit de la collectivité et
que le législateur a ainsi méconnu l'étendue de sa
compétence. Il s'agit d'une application positive de la toute
récente jurisprudence Kimberly Clark (CC 18 juin 2010) qui
permet la sanction d'une incompétence négative dans le cadre
de la question prioritaire de constitutionnalité uniquement
si la disposition en cause porte atteinte à une liberté
constitutionnellement garantie. Il ne se prononce pas
en revanche sur la question de l'absence d'indemnité mais on
peut inférer d'une autre décision (2010-43-QPC) qu'il ne
l'aurait probablement pas jugé inconstitutionnel, ce qui
risque de conduire le législateur à maintenir un tel
mécanisme pour le moins attentatoire à la propriété privée.
Le fait que le Conseil n'a pas différé l'application de la
déclaration d'inconstitutionnalité peut être interprété
comme autorisant une adaptation des procédures en cours.
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Les projets d'implantation d'éoliennes
doivent en principe être réalisés en continuité de
l'urbanisation existante au sens de la loi Montagne (CE 26
juin 2010, M. François A.). La solution n'allait pas
de soit puisque la CAA de Lyon en appel avait jugé que,
« eu égard à leurs caractéristiques techniques et à
leur destination », les éoliennes n'étaient pas
soumises aux dispositions de la loi Montagne. La soumission
à cette loi est en revanche établie par le Conseil d'Etat en
raison de l'intention du législateur d'éviter des
constructions isolées. Toutefois, le juge estime qu'en
l'espèce le projet pouvait entrer dans la dérogation, prévue
par ladite loi, pour les installations ou équipements
publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées
« eu égard à son importance et à sa destination ».
Une solution de compromis en somme qui introduit toutefois
une incertitude sur les conditions permettant aux promoteurs
de parcs éoliens de bénéficier de cette dérogation car tout
projet ne devrait pas automatiquement bénéficier de cette
dérogation et un paradoxe dans la mesure où l'ampleur du
projet permet de justifier une construction hors zone
habitée en montagne.
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Le transfert dans une autre commune d'une
ICPE fait perdre à la personne en cause le bénéfice d'une
autorisation obtenue avant le changement de réglementation
(CE 14 juin 2010, SARL Ennemond Preynat). En
l'occurrence, cette société de traitement chimique de
surface des métaux pouvait, après l'entrée en vigueur de ce
décret, continuer à fonctionner en vertu de ses droits
acquis. Néanmoins, le Conseil d'Etat estime que son
transfert, postérieurement à cette date, dans une autre
commune était soumis, en vertu de l'article 31 du décret du
1 avril 1964 relatif aux établissements dangereux,
insalubres ou incommodes, alors en vigueur, à une nouvelle
autorisation. Au passage, le Conseil d'Etat fait
application de sa position classique relative à l'autorité
de la chose jugée au pénal qui ne s'impose au juge
administratif que pour la constatation des faits. Ainsi, la
relaxe de la prévenante du chef d'exploitation d'une
installation ne bénéficiant plus d'une autorisation n'a pas
ici d'incidences sur le raisonnement à tenir par le juge
administratif.
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La qualité d'exploitant d'une ICPE
d'élimination des déchets – en l'occurrence une collectivité
locale - ne peut être transmise que par autorisation
préfectorale et non du simple fait de la signature d'un
contrat administratif en confiant l'exploitation de
l'installation à une société (CE 29 mars 2010, Communauté de
communes de Fécamp). Cet arrêt étend une solution,
déjà admise pour un contrat de droit privé, au cas d'un
contrat de droit public. Le transfert de la qualité
d'exploitant implique l'intervention d'un arrêté préfectoral
et le fait que le Préfet a octroyé une extension de
l'exploitation à la société exploitante et non à la
collectivité locale ne suffit pas à caractériser un tel
transfert. En conséquence, la charge de la remise en l'état
du site pèse sur la collectivité locale.
5/ Contentieux
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Le juge du référé voit son office
renforcé par la possibilité de contrôler une loi dans le
cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité et au
regard du droit de l'Union européenne (CE 23 juin 2010,
Diakite). Le Président de la Section du contentieux
du Conseil d'Etat fait ici d'une pierre deux coups. Sur le
premier point, cette solution résulte d'une
« combinaison » des dispositions relatives au
référé-liberté et de celles relatives à la QPC. Il en
résulte que le juge des référés de première d'instance ou
d'appel peut être amené à répondre à une QPC par priorité,
sous réserve qu'il y ait bien urgence. Autrement dit, le
caractère prioritaire de la question de constitutionnalité
vaut vis-à-vis de toutes les conditions d'admission d'un
référé, à l'exception de celle de l'urgence. En outre, le
Conseil d'Etat semble inférer des dispositions de la QPC
que, nonobstant l'exigence de statuer en 48 H, le juge des
référés peut prendre toute mesure conservatoire à l'effet de
permettre au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la
question. Sur le second point, le Conseil d'Etat porte
exception à la jurisprudence Carminati de 2002 qui avait
refusé, à propos d'un contrôle à l'égard de la CEDH il est
vrai, au juge du référé la possibilité de procéder à un tel
contrôle. Par exception, seule l'hypothèse d'une loi déjà
déclarée incompatible par un juge du fond (à titre principal
ou préjudiciel) pouvait autoriser un tel contrôle par le
juge du référé (CE 2005 Association Aides). Désormais, le
juge du référé peut en outre procéder à un tel contrôle de
lui-même mais il ne pourrait écarter toutefois que les
dispositions législatives qui caractérisent des
« méconnaissances manifestes » et seul le droit de
l'Union européenne est invocable. Cette extension au
droit de l'Union européenne s'inscrit dans la continuité des
jurisprudences de mai-juin 2010 qui ont vu tour à tour le CC
(12 mai 2010), le CE et la CJUE admettre la compatibilité de
la question prioritaire de constitutionnalité avec le droit
communautaire dès lors que ce caractère prioritaire ne fait
pas obstacle à l'adoption de mesures, y compris en urgence,
de nature à s'assurer du respect du droit de l'Union
européenne (CE 14 mai 2010, Rujovic). En somme, le contrôle
de constitutionnalité des lois et le contrôle de
conventionalité des lois vis-à-vis du droit de l'Union
européenne doivent être placés, peu ou prou, sur un pied
d'égalité, y compris désormais en référé.
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Un requérant ne peut invoquer, pour
contester une demande d'expulsion du domaine public à son
encontre, l'illégalité de la procédure ayant abouti à la
désignation de son successeur (CE 23 juillet 2010,
RATP). En l'occurrence, la RATP avait décidé, à
l'expiration de la concession d'occupation domaniale, de
lancer un appel d'offres. Le juge des référés, saisi par la
RATP sur le fondement du référé dit mesures utiles (L 521-3
du CJA) en raison du maintien dans les lieux de l'ancien
bénéficiaire, avait accueilli le moyen tiré de l'illégalité
de cette consultation pour rejeter la demande d'expulsion.
Le Conseil d'Etat rejette cette position et juge qu'il n'y
avait aucune contestation sérieuse de nature à ne pas faire
droit à la demande d'expulsion.
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Le juge compétent pour connaître du
recours contre une sentence arbitrale impliquant une
personne publique peut être judiciaire ou, par exception,
administratif (TC 17 mai 2010, INSERM). Etait en
cause une sentence arbitrale rendue en France, sur le
fondement d'une convention d'arbitrage, dans un litige né de
l'exécution ou de la rupture d'un contrat conclu entre une
personne morale de droit public française et une personne de
droit étranger, exécuté sur le territoire français, et
mettant en jeu les intérêts du commerce international. Ce
recours est par principe porté devant la cour d'appel dans
le ressort de laquelle la sentence a été rendue en
application de l'article 1505 du code de procédure civile.
Le Tribunal précise qu'il en va ainsi alors même que le
contrat en cause serait administratif selon les critères du
droit interne français. Par exception toutefois, il en va
autrement lorsque le recours « implique le contrôle de
la conformité de la sentence aux règles impératives du droit
public français relatives à l'occupation du domaine public
ou à celles qui régissent la commande publique et
applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat
et aux contrats de délégation de service public » car
ces contrats relèvent alors d'un « régime administratif
d'ordre public » et le juge administratif est alors
compétent. On peut être surpris par la solution car on
aurait préféré soit que le juge judiciaire fût tout le temps
compétent, soit que la compétence du juge administratif
dépende de la nature administrative du contrat, dans la
mesure où la notion de « régime administratif d'ordre
public » est, à notre connaissance, inédite et
particulièrement obscure.
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La notion de clause exorbitante du droit
commun s'étend à « l'organisation d'un contrôle
dérogatoire au droit commun » (TC 15 mars 2010, M.
Dumontet). Les clauses en cause traduisaient pour le
juge « l'organisation d'un contrôle dérogatoire au
droit commun d'une commune sur l'exploitation d'un
restaurant ». Etaient ainsi visées les clauses
relatives à la communication à la commune du bilan comptable
à la fin de chaque année, mais aussi l'autorisation
préalable de la commune pour l'installation par le
cocontractant de tout matériel « qu'il jugera utile pour
l'exercice de sa profession » et pour toute installation
nouvelle, même si elle a un caractère temporaire, comme pour
l'organisation de toute manifestation en rapport avec son
activité professionnelle. Une solution originale tant le
critère des clauses exorbitantes a tendance a joué un rôle
de plus en plus réduit avec l'extension des notions de
participation au service public ou de délégations de
service public et avec la promotion des contrats
administratifs par détermination de la loi (marchés publics
avec la loi du 11 décembre 2001, contrats de partenariats
avec l'ordonnance du 17 juin 2004, concessions de travaux
avec l'ordonnance du 15 juillet 2009). En l'espèce, le juge
évite ainsi de se pencher sur la question de savoir si le
contrat en cause faisait participer le contractant à
l'exécution d'un service public ou s'il emportait occupation
du domaine public, questions délicates s'agissant de
l'exploitation d'un restaurant appartenant à une commune.
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Le juge du référé suspension peut être
saisi en cas de non respect de la suspension ordonnée par le
juge du référé précontractuel (CE 3 février 2010, Communauté
de communes de l'Arc-Mosellan). Il convient de
préciser que l'affaire en cause concernait un référé
précontractuel antérieur à l'entrée en vigueur, au
1er décembre 2009, de l'ordonnance du 7 mai 2009
qui a notamment conféré un caractère suspensif au référé
précontractuel. Depuis cette entrée en vigueur, c'est le
référé contractuel qui devrait permettre de sanctionner le
non respect du caractère exécutoire d'une ordonnance du
référé précontractuel ou du caractère suspensif de recours.
Toutefois, les combinaisons de procédures ne sont pas
exclues et cette jurisprudence pourrait trouver à
s'appliquer.
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Le juge administratif est compétent pour
connaître de l'action directe engagée par une victime contre
l'assureur d'une personne publique (CE 31 mars 2010, Mme
Renard). Cette solution s'explique par la nature
administrative du contrat d'assurance passé avec une
personne publique en application de la loi MURCEF du 11
décembre 2001 qui qualifie tous les marchés publics de
contrats
administratifs. |